Antoine Rigot, funambule réinventé
30 septembre 2011.Paraplégique à la suite d’un accident en 2000, Antoine Rigot force l’admiration dans cette adaptation très libre du magnifique roman d’Henry Bauchau Œdipe sur la route, avec la complicité de la funambule finlandaise Sanja Kosonen.
CRL : Vous avez commencé le cirque en 1977 avec Annie Fratellini et Pierre Étaix. Vous y rencontrez votre compagne Agathe, déjà funambule, et c’est avec elle que vous devenez acrobate et participez au Festival mondial du cirque de demain. Quel a été ensuite votre parcours jusqu’à la création de votre compagnie Les colporteurs en 1996 ?
Antoine Rigot : Après avoir créé notre numéro de fil, nous sommes engagés chez Roncalli pour deux saisons, nous partons ensuite au Canada pour participer à la création du Cirque du Soleil, puis de retour en France, nous créons L’Histoire du soldat et participons à la création de la Volière Dromesko avant de créer Amore Captus et de recevoir le grand prix national du cirque. Nous décidons dans la foulée de fonder notre compagnie Les colporteurs.
CRL : En 2000, un accident vous rend paraplégique. Rétrospectivement, pensiez-vous vous relever un jour et revenir sur scène ?
A. R. : Je pense que je n’en ai jamais douté, je n’ai pas eu le temps de me poser des questions et pensais ne rien savoir faire d’autre ! J’ai alors été contacté, dans l’année qui a suivi, par Giorgio Barberio Corsetti pour l’assister à la mise en scène et jouer dans deux spectacles, Metamorfosi, puis Animali, Uomini i Dei… Cela m’a réintroduit directement dans le spectacle malgré ma situation physique, je pense que je lui dois beaucoup… J’ai commencé en parallèle un travail de mise en scène pour Diabolus in musica, spectacle imaginé par la compagnie.
CRL : Combien d’années de rééducation ont-elles été nécessaires ? Pensez-vous que votre vie d’athlète a permis ce miracle ou est-ce le fruit d’une volonté de chaque instant ?
A. R. : Il est certain que mon activité d’acrobate m’a permis de me remettre debout, autant physiquement que moralement. On peut aussi parler de miracle au vu des perspectives pessimistes des médecins français ! Comme j’ai eu mon accident aux États-Unis, le regard des médecins américains m’a aidé, car ils étaient plus ouverts quant à l’idée d’une récupération possible, si petite soit-elle. Mais c’est évident que la volonté et la connaissance de l’effort et de l’entraînement physique de haut niveau étaient indispensables ! Pour ce qui est de la rééducation, et bien sûr en trouvant les guides indispensables pour m’aider à la mettre en place, ce fut à moi de la construire et elle reste de tous les instants.
CRL : Pourquoi remonter sur scène avec cette libre adaptation de l’Œdipe sur la route d’Henry Bauchau ?
A. R. : J’avais et j’ai encore besoin de m’exprimer autour de ma nouvelle situation pour continuer à transcender le drame qui s’est abattu sur moi, mais aussi sur ma famille et mes proches. Grâce au roman d’Henry Bauchau, j’ai trouvé des appuis nécessaires pour le faire.
CRL : Sur scène, le spectateur est immédiatement bouleversé par votre invraisemblable performance mais, dans un effet de miroir troublant, c’est également la prestation solaire de la funambule finlandaise Sanja Kosonen que l’on retient. Pouvez-vous nous parler d’elle ?
A. R. : J’avais ce projet dans mon corps et dans ma tête, et quand Sanja est arrivée dans la compagnie, pour participer à la création du Fil sous la neige, dans lequel je commençais à esquisser ce travail autour de la condition humaine, j’ai senti qu’Antigone était « arrivée à la maison ». Je lui ai parlé du projet, il a tout de suite résonné en elle, et ses qualités artistiques, sa sensibilité ont montré l’évidence que cette rencontre était juste.
CRL : Enfin, comment définir Sur la route… ? Selon nous, c’est un moment qui va bien au-delà du spectacle de cirque et qui tend vers l’expérience et la leçon de vie.
A. R. : Il est difficile pour moi de définir Sur la route, mais nous avons découvert, en le proposant au public, que le spectacle allait bien au-delà de l’expérience personnelle, qu’il pose des questions de fond sur la condition humaine et prend une dimension universelle. C’est ce que nous espérions, et cela nous conforte dans notre démarche.
Entretien proposé par Jérôme Rémy