Ici Poésie invite Philippe Boutibonnes
25 novembre 2010.
Ancien professeur de microbiologie à l’Université de Caen, Philippe Boutibonnes a mené en parallèle de ses activités scientifiques une pratique artistique dont les œuvres ont été présentées dans différentes galeries et plusieurs musées qui, pour certains, lui ont consacré des expositions personnelles. Il a également fait paraître de nombreux textes sur la peinture ainsi que d’autres en collaboration avec des écrivains et poètes contemporains (Christian Prigent, Jean-Pierre Verheggen, etc.). Dans Le Beau Monde (éditions NOUS, 2010), son premier livre littéraire écrit tardivement (il est né en 1938), il se révèle être un véritable écrivain.
À travers une composition pointilleuse en 245 paragraphes, « l’homme qui narre » fait se croiser (tout particulièrement dans un zoo) de multiples « figures » qui relèvent de la sphère privée ou publique (Solange / Suzy, Adam, Staline et Martha, les jumeaux Souc et Sim, dieu « divin, créé par soi un matin de désoeuvrement », etc.). Ce faisant, il mêle les registres les plus divers en tentant de désigner la profusion hétéroclite du dit monde, le propos tournant souvent, justement, autour de cette nomination même et des questions qu’elle ne peut que susciter ; d’où l’importance accordée aux animaux de toutes espèces (des parasites – ver solitaire, puce et pou – à la girafe, en passant par le singe, chaînon qui ne saurait manquer) ainsi qu’aux morts, les deux ayant en commun d’être privés de parole : « Nu, l’homme né laid pas plus ver ni moins qu’un rat pelé. Né innommé, il existe, animal comme pas deux. En outre, apeuré, il crie. Ce cri anticipe le deuil de la parole et du silence qui s’ensuit. » Susceptible de s’interrompre à chaque instant, l’écriture est par conséquent hantée par cet écart irréductible entre « le silence des lois de la physique » et « la véhémence de la langue », écart que l’auteur parvient à rendre sensible en jouant sérieusement avec les mots considérés dans toutes leurs dimensions : « Les rattes sont mères à leur façon : elles enfantent, enratent et enragent d’être coites dans l’acte. C’est quoi coites ? C’est ce qu’elles croient en rotant sans le nom. » Savant par ses références (autant artistiques que scientifiques et philosophiques) et ses nombreux échos (par exemple, les allusions récurrentes à Spinoza), ce livre n’en est donc pas moins facétieux dans sa manière d’aborder les problématiques les plus essentielles : « C’est les bêtes pourtant que j’interroge : l’homme, je ne peux le connaître sui generis, je suis dedans depuis pas mal de temps, 7 j / 7 comme au Mac Do. Je ne peux m’en extraire. Je considère alors ce que j’ai été avant d’être celui que je suis : je tiens à la ruse de l’axolotl ; à sa face hilare, plantée comme un litchi épluché et fendue de joue droite à joue gauche ; à ses deux yeux vifs sans peau piqués sur le sommet : il est frugal mais rusé. » Bref, un lecteur attentif trouvera sans doute dans ce parler vivant suffisamment de raisons pour jubiler.
Bruno Fern
Lecture-rencontre avec Philippe Boutibonnes. Mercredi 1er décembre, à 18h30, Artothèque de Caen, Hôtel d’Escoville.