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Histoire de Bulles – Jean-Blaise Djian

Histoire de Bulles - Jean-Blaise Djian

 

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La NRF : cent ans de littérature

30 novembre 2009.

D’abord créée à la Fondation Bodmer (Suisse) dès février 2009, à partir des archives des éditions Gallimard, l’exposition que présente aujourd’hui l’IMEC à l’Abbaye d’Ardenne, retrace la chronique de La Nouvelle Revue française, la plus importante revue littéraire et critique du XXe siècle français, qui continue encore aujourd’hui… Reprise et augmentée avec les nombreuses archives dont l’IMEC dispose, l’exposition a été déployée en neuf parties chronologiques, qui montrent, à travers complicités, mais aussi conflits et questionnements, l’extraordinaire creuset intellectuel et l’important lieu de débats qu’a été La Nouvelle Revue française.

CRL :  Comment expliquer la longévité exceptionnelle de la revue (malgré un faux départ, malgré les interruptions) ?
Alban Cerisier (Gallimard) & Claire Paulhan (IMEC) :
La revue créée en 1909 par André Gide et ses cinq amis (les écrivains Jean Schlumberger, Jacques Copeau, Marcel Drouin, André Ruyters, Henri Ghéon), animée ensuite par Jacques Rivière (1919-1925) puis Jean Paulhan (1925-1940, puis 1953-1968), a très tôt manifesté une grande autorité et acquis une large audience. Elle les doit autant aux écrivains qu’elle parvint à rassembler dans ses pages (de Claudel à Sartre, de Proust à Malraux, d’Aragon à Martin du Gard, d’Alain à Blanchot, d’Artaud à Bousquet, de Saint-John Perse à Ponge, de Supervielle à Michaux…), qu’à ses « passeurs » (Larbaud, Caillois)  et à son considérable apport critique (Thibaudet, Arland, Prévost, Fernandez, Crémieux…) et intellectuel (Suarès, Benda…).
Un « groupement d’esprits libres », disait Gide à propos des premières années de La NRF ; « sans prévention d’école ni de parti », ajoutait Rivière ; « une revue d’extrême milieu » surenchérissait Paulhan… Aventure collective attentive aussi bien aux postes avancés et marginaux de la pratique littéraire qu’à l’héritage des siècles passés, La NRF n’a eu d’autre dessein que d’abriter une défense et illustration de la littérature contemporaine – reconnue, parmi tous les autres ordres du discours, comme le haut lieu de la révélation et de l’expérience de l’humain. Marcel Proust – qui avait pourtant été négligé dans un premier temps par les éminences grises, André Gide et Jean Schlumberger – reconnaissait, dans une lettre à Jacques Rivière, de 1920 : « Vous avez fait de La NRF la première revue qu’il y ait au monde. Vous pouvez en être fier. »… Cent années après sa fondation, force est de constater que La NRF a su se maintenir tout en se renouvelant : depuis la mort de Jean Paulhan (1968), elle a paru sous les directions de Marcel Arland (1968-1977), Georges Lambrichs (1977-1987), Jacques Réda (1987-1995) et aujourd’hui, c’est Michel Braudeau qui veille à sa destinée depuis 1999. Cependant, cette longévité n’aurait pu se maintenir sans l’appui pragmatique et convaincu de Gaston Gallimard, puis de son fils Claude et de son petit-fils Antoine, actuel P-DG des éditions Gallimard. Ce lien entre la revue et la maison d’édition qui s’y est associée a considérablement favorisé cette longévité.

CRL : La NRF fut le lieu de rendez-vous de tous les grands noms de la littérature. Comment travaillaient-ils ? Quelle «ambiance» peut-on imaginer ?
A. C. et C. P. :
Entre les gens qui « faisaient » la revue, qui en concevaient les sommaires, en corrigeaient les épreuves, en partageaient les découvertes et les plaisirs, l’amitié devait être très forte, l’estime également. Sans provenir forcément du même milieu, de la même culture, sans avoir les mêmes goûts, ils avaient au moins une passion commune, dans laquelle ils mettaient beaucoup d’énergie, d’inventivité et de travail. C’était toute leur vie. Ainsi, en 1953, Jean Paulhan parle de La NRF en ces termes : «  Arland [co-directeur avec lui de la revue] et moi nous sommes pris dans la nrf. Il se trouve que c’est pour nous une aventure très passionnante, que c’est une raison de vivre très suffisante. »
Par rapport aux écrivains qu’ils lisaient et publiaient, les animateurs de la revue ont développé une constante attention, une grande curiosité, beaucoup de respect, également : il s’agissait de discerner, parmi la masse des écrits et des personnalités, rien moins que la littérature contemporaine, la poésie de leur temps, la pensée en mouvement, les œuvres en train de se faire…
Bien sûr, cette grande qualité de relations à la littérature n’est pas allée sans conflits, contradictions, polémiques, autocritiques. Ce qui rend l’histoire de cette revue très intéressante à étudier et à montrer.

CRL : La NRF reflète aussi son époque. S’y joue dans les années l’opposition résistance / collaboration par exemple. Quelles furent les conséquences de cette période trouble pour la revue ?
A. C. et C. P. :
La forte affirmation de la primauté de la littérature, dans les pages de La NRF, ne l’a pas empêchée de penser son époque : le fait politique, la condition historique et sociale de l’homme l’ont, elle aussi, requise, et dès ces débuts (avec Jean-Richard Bloch, par exemple). C’est ainsi qu’en 1935, La NRF fait circuler une pétition en faveur du grand écrivain Thomas Mann, contrant à l’exil par le national-socialisme allemand, ou qu’elle publie dans les années du Front populaire des textes politiques de Trotski et un compte rendu sur le premier Congrès des Écrivains soviétiques… N’oublions pas qu’André Gide et Bernard Groethuysen ont été ou sont des compagnons de route du parti communiste, dont l’influence est grande dans le milieu intellectuel.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’enjeu sera tout autre : pour protéger l’activité des éditions de la NRF, « greffées » sur la revue dès 1911 par Gaston Gallimard, il faut céder La NRF aux autorités d’Occupation et accepter qu’elle représente le lien entre cultures française et allemande, sous la direction de Pierre Drieu la Rochelle, proche des Allemands. Pendant que Jean Paulhan et d’autres entrent en Résistance, Drieu tente donc, dès décembre 1940, de réaliser, livraison après livraison, cette NRF européenne, favorable à la Collaboration. En juin 1943, il jette l’éponge. Un « homme de paille » conscient des dangers de la situation, Jacques Lemarchand, permettra une transition en douceur vers la mise en sommeil du titre, en une année où les nazis commencent à avoir d’autres soucis que d’assurer leur mainmise sur le milieu intellectuel français… La Nouvelle Revue française que Gaston Gallimard souhaitera voir renaître dès la Libération, ne sera autorisée à reparaître qu’en janvier 1953, sous le titre de Nouvelle Nouvelle Revue française et sous la direction conjointe de Jean Paulhan et Marcel Arland : cette nouvelle NRF, prise dans les polémiques de l’Epuration mais destinée à un public qui a soif de littérature et de qualité, trouvera très rapidement une grande audience, atteignant près de 40 000 acheteurs…

CRL :  L’insoumission et la liberté de penser participent de l’identité de la revue. Ce sont des mots qui reviennent souvent à son sujet. Pouvez-nous en dire un mot ?
A. C. et C. P. :
L’indépendance complète de la revue par rapport à la maison d’édition de Gaston Gallimard a beaucoup fait pour sa crédibilité aux yeux du lectorat et du milieu littéraire, dès les années Rivière, qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Mais, avec Jean Paulhan, les inévitables moments de crises et de ruptures ont été intégrés à sa stratégie éditoriale et littéraire et ont joué comme des relances, des aiguillons de la pensée : à partir de ces crises (par exemple, celle avec les surréalistes, en 1927), la communauté des écrivains a dû s’engager dans le débat, prendre parti, choisir un camp, convaincre… Au-delà d’un épiphénomène de surface, ces crises illustrent une manière d’exercer l’autorité intellectuelle tout en favorisant un ou plusieurs contre-pouvoirs, de solidariser un groupe d’écrivains et de critiques tout en privilégiant les individus et leurs paradoxes… La NRF fut, dès son origine, le lieu de cette tension entre pragmatisme et haute idée de la « littérature pure », ce qui suppose une véritable conscience de l’enjeu intellectuel d’une revue par rapport à son temps.

CRL : L’exposition met en avant de nombreuses archives, souvent exceptionnelles… Comment avez-vous travaillé ? Comment les avez-vous sélectionnées ?
A. C. et C. P. :
Les archives Gallimard avaient déjà été bien « quadrillées » par Alban Cerisier et son équipe ; nous avons donc enrichi ce choix de documents essentiels par une sélection des archives qui sont en dépôt à l’IMEC, notamment dans les fonds Jean Paulhan, Georges Lambrichs et Jacques Lemarchand. Nous avons découvert, au fur et à mesure de notre travail en commun, que l’ensemble de ces archives (manuscrits, lettres, photographies, documents publicitaires et commerciaux, articles de presse, épreuves corrigées, ouvrages dédicacés, etc.) forme comme un puzzle qui prend forme et sens, vitrine après vitrine. Les deux sources de l’image reconstituée par ce puzzle, Gallimard et l’IMEC, sont, en l’occurrence, très imbriquées et complémentaires, ce qui aboutit à un dialogue archivistique entre les deux institutions, dialogue qui est, nous semble-t-il, à la fois vivant, révélateur et inédit.

CRL : Aujourd’hui, peut-on parler d’un héritage de la NRF ?  Si oui quel est-il ?
A. C. et C. P. :
Il est à l’œuvre, sans aucun doute, dans ce que sont aujourd’hui encore la maison d’édition et la revue, même si la place de chacune, au fil des temps, s’est redéfinie. Un « esprit NRF » se laisse deviner en de multiples filiations, à l’image de celle, par exemple, qui rapproche des auteurs comme Jean Paulhan, Charles-Albert Cingria et Jacques Réda. À y prêter attention, on perçoit, d’un auteur à l’autre, d’une génération à l’autre, des échos qui attestent d’une manière de transmission, tant « stylistique » que « thématique ». Au cœur de ce mouvement, il y a bien sûr cette conviction que la littérature est un des moyens privilégiés dont l’homme dispose pour se connaître lui-même et se rendre présent au monde. C’est ce que les fondateurs de La NRF désignaient comme leur devoir de sincérité, mélange de discipline, de disponibilité et de défiance à l’égard des écueils d’un langage qui se serait épris de lui-même au point de se couper du monde, de la vie. De sorte qu’on pourrait parler d’un héritage humaniste de La NRF, auquel sont liées une méfiance instinctive à l’égard de toutes les orthodoxies, qu’elles soient d’ordre moral, politique ou esthétique, et l’affirmation que la critique est au cœur de la création. Malgré toutes les contradictions qui ont pu être apportées, au sein même de la revue parfois, à cette idée de la littérature, le cap a été maintenu ; et il apparaît que le « classicisme moderne » de ses fondateurs, cette fructueuse tension entre ouverture et concentration, fait encore figure aujourd’hui de principe actif et justifie des choix éditoriaux.

Entretien proposé par Nathalie Colleville

Exposition conçue par Alban Cerisier (Gallimard) et Claire Paulhan (IMEC). A l’abbaye d’Ardenne (Grange aux Dîmes), du 23 septembre au 23 décembre 2009. Prolongation : jusqu’au 28 février 2010.
Visitez l’exposition en ligne. Environ 300 pièces d’archives, réparties en 9 sections. Diffusion d’une émission avec Gaston Gallimard, et de deux films documentaires, l’un sur André Gide, l’autre sur Jean Paulhan.
Catalogue disponible : Alban Cerisier, En toutes lettres… Cent ans de littérature à La Nouvelle Revue française, Gallimard, 2009, 32 €.

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