Journal d’une amputation
26 octobre 2009.Née en 1978, Kaisa Leka est une jeune artiste finlandaise qui a étudié les arts, le design et la bande dessinée. En 1998, elle subit une double amputation des jambes et entreprend l’écriture d’une série d’albums autobiographiques, au travers desquels elle espère changer le regard sur le handicap. Admiratrice de Marjane Satrapi et de David B, elle a choisi la forme du journal intime, un style sobre et des dessins simples pour dénoncer la superficialité des valeurs de la société occidentale moderne.
l/é : Quand avez-vous commencé à écrire I’m not these feet ? Quelle était alors votre ambition ?
Kaisa Lekka : I’m not these feet est fondé sur un journal que je tenais à l’hôpital durant le printemps 2002. J’ai toujours aimé les journaux intimes sous forme de bande dessinée et je voulais en faire un moi-même. J’ai pensé que mon amputation était quelque chose de si extraordinaire que ça intéresserait les autres. Bien sûr, ce journal était aussi pour moi une façon de traiter mes propres réflexions sur l’opération, mes peurs et mes espoirs. Les gens ont souvent peur de la maladie, des gens malades ou encore des infirmes et je voulais leur montrer que nous sommes juste des gens en bonne santé malgré nos différences extérieures. Je voulais laisser les gens bien portants jeter un œil sur le monde des handicapés et réaliser que nos joies et nos peines quotidiennes sont identiques aux leurs. Je voulais aussi encourager ceux qui ont des problèmes avec leur corps, leur rappeler qu’on peut vivre avec et en tirer des leçons. Le retour le plus agréable que j’ai eu pour ce livre est venu d’une personne infirme qui m’a dit avoir gagné de la force grâce à lui.
l/é : Dans cet album, le trait est simple, très épuré et les personnages, naïfs, évoquent les premiers dessins de Walt Disney. Cela contraste fortement avec la noirceur de son sujet. Pourquoi ce choix ?
K. L. : Avant tout, je voulais créer un contraste intéressant entre les personnages enfantins et le sérieux de l’histoire, pour retenir l’attention des lecteurs. J’aime l’art qui combine différents styles et créé ainsi quelque chose de complètement nouveau. Je pense aussi que la bande dessinée est une forme artistique extrêmement efficace pour traiter des sujets sérieux, parce que les gens attendent d’une BD qu’elle soit drôle et facile à lire. À travers la BD, je peux atteindre des gens qui n’auraient jamais acheté mon livre s’il s’était agi d’une étude scientifique sur le handicap ou même un récit autobiographique classique. En même temps, je voulais que mes dessins soient très simples, inachevés et montrer aussi toutes les erreurs que j’avais faites lors du lettrage. [NDLR : Les ratures dans le texte ont été gardées à l’impression finale.] Ce sont ces fautes qui donnent une sensibilité très personnelle à l’album. Je pense qu’en laissant mes erreurs visibles, je laisse le lecteur venir très prés de moi. Mes erreurs me permettent de dire : faire des fautes c’est possible ! Être imparfait, c’est possible !
l/é : Votre vie est souvent à l’origine de vos albums.
K. L. : Je suis constamment en train de faire de nouvelles BD sur ma vie. Les deux sont indissociables. Je lis beaucoup et j’essaie de garder les yeux ouverts où que je sois. Cela donne la sensation que mes nouvelles idées viennent de ce qui m’entoure. Je les note dans un carnet et les reprends quand j’en ai besoin. J’engrange des informations sur moi et l’état de cette société. J’aime aussi penser que dans vingt ans, je pourrais revenir à ces albums et réaliser ce que ma vie était en 2006. J’espère faire encore des BD à ce moment-là, j’espère ne jamais arrêter de dessiner !
Propos recueillis par Nathalie Colleville
I’m not these feet, de Kaisa Leka, éditions Cactus, 2006.