« La différence enseigne et nous enrichit »
24 novembre 2010.Dense, intense, le premier roman de Wilfried N’Sondé, Le Coeur des enfants léopards, aborde les questions de l’identité, de l’appartenance, le désir et la violence aussi.
Livre/échange : Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce premier roman ?
Wilfried N’Sondé : Comme vous l’annoncez, c’est mon premier roman, j’ai donc tout simplement eu envie de m’essayer à cette forme artistique, un peu comme on exécute un exercice de style. Ensuite, j’aime à dire qu’il était important pour moi de mettre de l’humanité dans l’actualité. En effet, je suis assez agacé par le fait que l’on parle beaucoup des populations installées en France, issues de l’immigration africaine, en des termes sociologiques ou uniquement comme un phénomène inquiétant voire problématique. Il m’a paru important d’aborder la question de manière intime, les sentiments sont à mon sens, ce qu’il y a de plus essentiel chez les êtres humains. D’où l’idée de cette plongée dans un cœur, dans lequel on trouve de l’espoir, de la désillusion, de la peine, de la joie, de la rage mais surtout de l’amour. Pour être un peu expéditif, je dirais qu’il s’agissait d’aller faire un tour en marge de la délinquance juvénile des adolescents et des débats autour de la très énigmatique intégration !
L/É : Le narrateur du Cœur des enfants léopards évoque sa déception après son arrivée en France. « J’imaginais, sous un soleil clément, un pays des merveilles, couvert d’une immense coupole de verre, en dessous laquelle la vie des Blancs coulait dans l’harmonie ». Entre la France décevante et « la parodie démocratique du Congo » où il est né, comment le narrateur du roman peut-il trouver sa place ?
W. N. : J’aime beaucoup cette question, car on se retrouve au centre de la problématique que pose et essaie de résoudre mon roman. Au milieu de toutes ces déceptions et de l’hostilité qui lui vient de toutes parts, le narrateur peine d’abord, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il n’a d’autre choix que celui de s’extraire tant bien que mal de cet étau, afin de définir lui-même les questions et les réponses qui lui permettront d’être heureux, parce que finalement il s’agit bien de cela. L’amour autour duquel son enfance et sa jeunesse se sont axées s’en va. A la fin, c’est grâce à la spiritualité qu’il espère trouver un chemin, une harmonie nouvelle. Nous lui souhaitons bonne chance ! Au fond, le monde extérieur importe peu, il me semble qu’il ne s’agit pas d’y trouver sa place, mais de la créer là où on se sent le mieux.
L/É : L’héritage des ancêtres, les conséquences de la colonisation en Afrique, les difficultés de l’intégration, « la charogne du pétrole » aujourd’hui en Afrique, le béton des cités, « les geôles de la différence »… Le Cœur des enfants léopards porte tous ces thèmes amples et complexes. L’écriture, fluide, met au même plan le passé et le présent, l’Afrique d’hier et le quotidien des cités, la mythologie et la réalité… Soit un temps universel, décloisonné. L’écriture ici abolit les frontières géographiques et mentales. Êtes-vous d’accord avec cette lecture ?
W. N. : Je suis entièrement d’accord avec cette lecture. Je dois avouer que c’est l’écriture de ce roman qui m’a permis de prendre conscience de la nécessité d’abolir un certain nombre de frontières qui nous enferment encore aujourd’hui, alors qu’elles sont en fait désuètes. Il n’y a par exemple pas de cloison entre origines et réalités chez un exilé, son identité est sans doute complexe, mais elle reste cohérente. Il en va de même quant au temps, je pense que chacun de nous porte quotidiennement son passé avec lui, en même temps qu’il construit son avenir. Tout se tient dans un même mouvement. Pour finir, j’affirme que la différence devrait ne pas apporter de situations conflictuelles, dès l’instant où l’on a compris qu’elle est ce moteur qui nous attire vers autrui, elle enseigne et nous enrichit. La craindre équivaut à ouvrir la porte de l’intolérance et de l’appauvrissement.
L/É : Je pense aussi à cette phrase du narrateur : « Parfaire le grand écart, celui que nous tissons entre les continents, les mondes et aussi le temps. C’est le grand art de demain. » Vous avez signé l’an dernier le manifeste pour une littérature monde, pour une littérature francophone donc détachée finalement des notions de territoire et de nation. Quelle serait votre définition de la francophonie ? Quel(s) lien(s) faites-vous entre langue et territoire ?
W. N. : Encore une fois, une très bonne question. Il existe assurément un lien entre langue et territoire, seulement il est voué à se détendre toujours plus. La langue française en est un bon exemple. De l’Ile-de-France, elle s’est d’abord propagée dans l’hexagone, aujourd’hui elle est devenue « Monde ». Pour moi, une langue est un simple outil de communication, à ce titre il est heureux qu’elle permette de rassembler un grand nombre de personnes. C’est l’avantage du Français. Grâce à lui on peut s’exprimer sur les cinq continents. J’en sais quelque chose, en tant que lauréat du prix du même nom, j’ai la chance de rencontrer des lecteurs dans le monde entier. Je tiens ici à dire qu’il est temps de préciser que le Français est la langue de la France, autant qu’elle est l’une de celles du Congo, du Canada, du Sénégal, de la Belgique, du Mali, de la Suisse, de la Nouvelle-Calédonie, etc. En somme, une langue n’appartient pas à une Nation en particulier, mais à chaque personne qui la parle. Je définirais la francophonie simplement comme l’ensemble de celles et de ceux qui parlent et comprennent le Français, au-delà des nationalités.
L/É : La forme romanesque a-t-elle laissé dans ce premier roman un peu de place à une matière autobiographique ? Si oui dans quelle mesure ?
W. N. : C’est drôle, voilà une question que l’on me pose souvent. Le narrateur est un immigré du Congo Brazzaville, moi aussi. Tout comme lui, j’ai grandi dans une ville de la périphérie de Paris. La part autobiographique du Cœur des enfants léopards s’arrête là ! Maintenant, un roman se nourrit évidemment des expériences et autres réflexions propres à l’auteur, c’est une forme d’expression très intime. Ceux qui me connaissent personnellement y reconnaissent mon empreinte, mais je n’y ai pas raconté ma vie, je suis trop pudique pour cela. Je profite de cette colonne pour remercier mon père, Simon N’Sondé, pour son témoignage, il m’a permis d’évoquer l’époque coloniale, antécédente à ma naissance et peu documentée. Merci.
Entretien proposé par Nathalie Colleville
Le Cœur des enfants léopards est paru chez Actes Sud.