L’univers d’Edvard Munch
4 octobre 2011.L’idée d’une exposition Edvard Munch à Caen est demeurée longtemps comme un rêve inaccessible. Une conjonction d’opportunités a permis à ce projet de prendre corps : le vingtième anniversaire du festival des Boréales, le dix-huitième anniversaire aussi du jumelage entre le comté norvégien du Hordaland et la Basse-Normandie, et enfin l’indispensable collaboration avec deux collections norvégiennes prestigieuses, l’une publique, le Kunstmuseum de Bergen, et l’autre privée, la collection Gundersen.
Le plus grand peintre de l’Europe du Nord, l’artiste phare de la modernité, l’auteur d’œuvres mythiques ne pouvait faire l’objet d’une nouvelle rétrospective, d’autres manifestations s’en chargent. Nous avons choisi de présenter ce génie scandinave en confrontant deux modes d’expression essentiels chez lui : la peinture et l’estampe ; cette dernière technique, avec laquelle il a entretenu une relation privilégiée, lui a permis d’atteindre peut-être plus rapidement qu’en peinture ce degré d’expression et cette puissance synthétique qu’il a recherchés éperdument.
Le Kunstmuseum de Bergen possède l’une des plus importantes collections de peintures de Munch au monde grâce au collectionneur norvégien Rasmus Meyer (1858-1916), qui légua sa collection à la ville de Bergen en 1916. Son propos de collectionneur était de constituer un ensemble « montrant le développement de l’art norvégien aux XIXe et XXe siècles ». Munch, qu’il connut personnellement, allait prendre une place prépondérante avec un fonds de trente-deux peintures de premier ordre. C’est dans cet ensemble qu’il nous a été possible de choisir quinze tableaux exécutés entre 1888 et 1930, la plus grande part datant des années 1890, qui sont probablement les plus créatives et les plus denses de toute la production de l’artiste. L’exposition évoquera ainsi les thèmes essentiels de son œuvre – la femme, l’amour, le sexe, la maladie, l’alcoolisme, la mort –, indépendamment de toute chronologie puisque, on le sait, l’œuvre de Munch est marqué par d’incessants allers et retours entre les thèmes centraux qu’il a explorés sa vie durant. Nous mettrons ainsi en évidence l’aspect introspectif de la peinture de Munch, comme il l’a dit lui-même : « Je ne peins pas ce que je vois mais ce que j’ai vu. » Inger à la plage (1889), Le soir rue Karl-Johann (1892), Maison au clair de lune (1893), Plage à Åsgårdstrand (1904) jalonnent un parcours qui va bien au-delà des notions de naturalisme et de symbolisme.
La collection Gundersen, bien que récente puisqu’elle fut commencée dans les années 1990, est devenue incontournable dans le domaine très convoité des estampes de Munch. Complétant patiemment cet ensemble unique, le collectionneur peut se vanter de posséder l’une des deux versions du Cri, coloré en rouge, orange, bleu et vert par l’artiste lui-même. Très rarement montrée, cette collection n’est jamais sortie de Norvège, et nous nous réjouissons d’avoir pu convaincre P. G. Gundersen de prêter cinquante estampes pour cette première présentation à l’étranger. Le choix s’est porté en particulier sur la lithographie et la gravure sur bois. Plusieurs séries sont représentées grâce à plusieurs états, souvent colorés ou avec des reprises ultérieures. Nous exposons cinq versions différentes de la célèbre Madone, et trois versions de L’enfant malade. Cette composition emblématique dans la création de Munch est l’œuvre qui décida P. G. Gundersen à commencer sa collection.
L’un des attraits de cette exposition sera de montrer l’unité de la démarche de Munch peintre et Munch graveur. Dans les salles, le visiteur pourra aborder dans le même regard le thème énoncé en peinture et ses variations en gravure. Par exemple, Mélancolie, l’un des chefs-d’œuvre du musée de Bergen (1894), sera accompagné des trois interprétations gravées (datées de 1902) de la collection Gundersen. Ainsi apparaîtra plus complètement la puissante personnalité de celui qui conçut sa création comme le miroir de sa vie intime.
Patrick Ramade