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Histoire de Bulles – Jean-Blaise Djian

Histoire de Bulles - Jean-Blaise Djian

 

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Michel Onfray

26 octobre 2009.

Michel Onfray, l’étoile polaire

Novembre 2009, une pièce sera créée à la Comédie de Caen dans le cadre des Boréales : Le recours aux forêts. Michel Onfray en a écrit le texte. Dans une « Postface en forme de préface », il raconte sa gestation. Jean Lambert-wild l’a sollicité. Pourquoi ne pas se rendre sur les pas de fouriéristes, du côté du Texas ? Ou à la rencontre de l’Amérique que Tocqueville avait négligée lors de son séjour aux Etats-Unis, celle de Thoreau et de divers Américains en marge ? À défaut on se tourna rêveusement vers l’Islande : Michel Onfray l’associe à Nietzsche, l’homme de la montagne et des glaciers, il la voit comme un espace de l’utopie possible, une terre écosophique.

(c) Gantier/Gamma

Livre/échange : En quoi l’Islande appartient-elle à ton imaginaire personnel ? En quoi pourrait-elle avoir quelque rapport avec le Nord de ce livre Esthétique du pôle nord, publié en 2002 ?
Michel Onfray :
Je crois que ta judicieuse mise en perspective de ces deux textes, Le recours aux forêts et Esthétique du pôle nord, donne la réponse… Je me souviens d’un soir de mon enfance où mon père me fit sortir sur le devant de la porte de la maison pour m’indiquer l’étoile polaire et me dire qu’elle était la première levée, la dernière couchée, qu’elle était la plus lumineuse, la plus zénithale et qu’elle indiquait toujours infailliblement le nord… Je crois que ce fut là toute leçon que je dus à mon père : mais c’est une leçon magistrale, le programme éthique d’une existence toute entière… J’ose espérer avoir écrit ma vie sous le signe de l’étoile polaire…

l/é : Au vu de ton nom, tu peux songer à une ascendance scandinave, peut-être danoise. Il y eut au Moyen Age un Onfroi le Danois à Argentan. Chambois, le village de ton enfance, à te lire, est une terre hyberboréenne, une terre d’ancêtres. Pourquoi un tel attachement au lieu de la naissance, à des aïeux?
M. O. :
Parce que j’ai un peu vu Paris de l’intérieur en effleurant le monde des journalistes, des écrivains, des éditeurs, des médias, puis une bonne partie du monde lors de conférences faites sur tous les continents et que, rentrant de Tokyo ou de New York, de Sidney ou de Buenos-Aires, de Brasilia ou de New Dehli, ou d’une bonne partie des capitales européennes, le tropisme sédentaire reprend le dessus sur le tropisme nomade : j’aime alors la paix, le calme, la sérénité, le temps lent, la vérité pour le dire en un mot, de la Normandie et d’Argentan où j’habite. Mais plus encore de Chambois qui est mon village natal, le lieu de mon enfance, un endroit devenu plus cher encore le temps passant car il sollicite en moi toute une série d’affects proustiens qui ne prennent sens qu’une fois l’âge venu… Je viens d’avoir cinquante ans, je sais qu’il y a plus de temps derrière moi que devant, Chambois prend alors la dimension qu’il a : c’est la terre de mon enfance, de mes parents, de mes arrière-grands-parents, du lignage. La Normandie est la terre de mes ancêtres depuis mille ans et j’aime que les gens modestes – la famille Onfray est paysanne, agricole, journalière, domestique de ferme depuis toujours – puissent autant que les nobles ou le peuple élu, se revendiquer des longues durées.

l/é : L’Islande a connu, à lire les sagas, des proscrits qui se réfugiaient dans la forêt ou tel lieu naturel loin des hommes. Tu as médité sur la tradition du recours aux forêts, tu as songé à Walden le personnage de Thoreau. Pourquoi as-tu été séduit par cette figure de rebelle ?
M. O. :
Parce qu’elle me parle bien plus que la figure de l’institutionnel qui, pour être, a besoin des autres, de la tribu, de la horde – le corps professionnel, la police, l’armée, l’éducation nationale, l’université, le journalisme, etc. ; il ne tient sa vérité que du groupe qui l’accueille et le coopte. Dès lors, il abandonne son individualité, sa singularité, sa liberté, au profit d’une sécurité garantie par la communauté.

l/é : Le texte que tu as rédigé comprend deux moments, une « Permanence de l’apocalypse », puis une « Vertu des consolations ». Tu avais à l’esprit des lectures, des vers de Ronsard sur les malheurs du temps, et non pas celui qui célèbre les roses, et l’immense poème envoûtant de Whitman Feuilles d’herbe. Tu as donné en sous-titre à ton texte « La tentation de Démocrite ». Pourquoi avoir songé à ce philosophe dont la tradition nous dit qu’il s’était retiré dans une cabane ? En quoi cette figure du Sud solaire se conjugue-t-elle avec la figure du proscrit hyperboréen ?
M. O. :
L’hyperboréen est une épithète géographique, certes, au-delà du nord, mais aussi une épithète métaphorique : un au-delà du point de repère. Démocrite a beaucoup écrit, beaucoup édité, beaucoup voyagé, beaucoup obtenu de succès, donc on l’a beaucoup envié, détesté, au point que Platon eut envie d’un immense bûcher pour y précipiter les œuvres de ce penseur matérialiste, athée, sensualiste, hédoniste. Deux proches lui firent savoir que pareille initiative n’aurait pas raison de Démocrite, de son œuvre et de sa réputation. Platon n’en fit donc rien… Démocrite – ayant sondé le cœur des hommes et fait le tour du monde, riche à souhait, célèbre – se construisit une petite cabane dans son jardin et y vécut le reste de ses jours : j’aime cette façon hyperboréenne de prendre congé du monde, des autres, du vacarme et de la folie du monde, pour se concentrer sur la construction de soi comme liberté radicale…

l/é : Le recours aux forêts est un texte qui dit le malheur immémorial des hommes, l’impudence des puissants, la violence des fanatiques, la souffrance des humbles. Face à la catastrophe, à l’iniquité, que faire ? Retrouver les « animaux du paradis d’avant la fin du Paradis », ressentir les palpitations d’une nature vigoureuse et aimante, lever les yeux dans la nuit vers « l’unique », l’Etoile polaire… Que reste-t-il du rebelle des sagas islandaises dans cet homme qui aime les fleurs et les eaux qui ruissellent ?
M. O. :
Le rebelle qui recourt aux forêts n’a plus que cette compagnie : la nature élargie au cosmos. Il a tiré un trait sur les villes, le bruit et la fureur du monde des prétendus civilisés, l’hypocrisie des relations humaines… Les hommes finissent toujours par décevoir si on les fréquente trop ou de trop près, leçon de lucidité et non de pessimisme – lire ou relire les moralistes français qui concentrent le génie méconnu d’une partie de la philosophie française… La nature ne déçoit pas car elle renvoie à soi-même, au plus intime, et la compagnie de soi-même, sauf pour ceux qu’habitent la mauvaiseté, est la pierre angulaire d’une construction de soi avec en ligne de mire la production d’une vie philosophique, autrement dit d’une vie insoucieuse des honneurs, des richesses, de l’argent, de la réputation, de la propriété, de la possession.

l/é : Tu es l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Je voudrais revenir sur deux livres publiés ces dernières années. Dans Le Songe d’Eichmann, tu fais dialoguer le nazi et le philosophe Kant. Hans Scholl, un étudiant membre du réseau antinazi La Rose blanche, voyait Kant du côté de la dictature établie par Hitler. Tu t’inscris dans une tradition allemande en t’interrogeant sur la proximité d’Eichmann avec des réflexions de Kant. Comment as-tu reçu les critiques à ton encontre, au prétexte que tu aurais mal rendu la pensée de Kant ? Tu as publié, toujours chez Galilée, un bel hommage à Charlotte Corday. Tu vois en elle une républicaine altière, une sœur des jeunes gens qui utilisèrent des armes contre des officiers allemands pendant les années noires en France. Pourquoi cet attachement à Charlotte Corday ?
M. O. :
Je ne lis pas les critiques qui me sont consacrées, ni les bonnes ni les mauvaises. J’ai laissé ça depuis longtemps, quand j’ai compris que la critique n’était pas le lieu de la lecture commentée d’une œuvre mais la foire aux vanités, le ressentiment des egos, la machinerie de la reproduction sociale, le miroir narcissique d’une époque veule, etc. Mais ce reproche m’a été fait dans des débats télévisés, une fois par Elisabeth Badinter, une autre par Elisabeth de Fontenay, deux professeurs qui, justement, n’ont probablement pas lu tout Kant… Ce que j’ai fait dès 1980 sous la direction de Madame Goyard-Fabre, que je salue ici, ma directrice de maîtrise et de doctorat, justement pour un travail universitaire qui m’avait valu la mention me permettant de croire que je ne commettais pas d’erreur sur ma lecture de Kant ! Si on ne se contente pas de la carte postale kantienne qu’aiment tant les professeurs et qu’on lit, en plus des Fondements de la métaphysique des mœurs, la Doctrine du droit, on y verra qu’Eichmann pouvait légitimement se réclamer de Kant pour justifier les forfaits qu’on connaît… On y trouvera un Kant justifiant la peine de mort, légitimant le pouvoir issu d’un coup de force, interdisant la rébellion, expliquant qu’un enfant né hors mariage est né hors le droit et ne peut donc être protégé par le droit (d’où l’ineptie de poursuivre une mère adultère homicide…), sans parler d’ antisémitisme, de racisme (l’odeur puante des nègres par exemple !) et autres choses loin d’un Kant philosophe de la pureté morale… Quant à Charlotte Corday, elle est l’anti-Eichmann, celle qui considère qu’il y a la loi, l’État, la décision politique, certes, mais qu’au-dessus de la loi juridique il y a la loi morale et que cette dernière fait la loi, toute la loi… Je l’aime parce qu’elle est romaine, athée, républicaine, fière, cultivée, déterminée et qu’il en va là d’un caractère à même de fournir un modèle éthique pour aujourd’hui !

l/é : En 2002 tu as songé à créer une Université populaire à Caen. Tu t’es lancé dans cette aventure avec quelques amis. Comment expliques-tu l’audience de l’UP de Caen?
M. O. :
Mes amis et moi proposons des réponses, je dis bien des et non une, aux questions qu’on peut se poser en ces temps sans… étoile polaire ! L’effondrement des grands discours (chrétiens, marxistes, structuralistes, soixante-huitards, etc.) a plongé un grand nombre de personnes dans le désarroi. Que penser dans ce monde sans foi ni loi ? Les enseignants bénévoles de l’UP (une quinzaine) proposent des pistes et n’imposent rien, ils cartographient le monde, lèvent des cartes du réel, racontent les chemins empruntés par tel ou tel grand ancien, et invitent chacun à dessiner sa route, à construire son trajet dans un monde un peu plus lisible. Notre succès est fait par la diversité idéologique, spirituelle et mentale des intervenants.

l/é : Quelle est la spécificité de l’Université populaire du goût à Argentan, créée en 2006 ?
M. O. :
Nous y construisons, à partir d’un jardin potager de réinsertion sociale destiné aux plus démunis (chômeurs en fin de droit, rmistes, anciens prisonniers toxicos, etc.), un noyau dur de micro-résistance dans une sous-préfecture abîmée par la fermeture de ses usines. Nous tâchons de fédérer, à partir de ce lieu, toute la population argentanaise et des alentours, autour de la culture : concerts de musique classique, rencontres gastronomiques, marchés de produits à même de permettre une éducation au goût, dégustation, réalisation d’un jardin de sculptures, rencontres avec des écrivains, des acteurs de la vie culturelle française, des cinéastes, des débats, des repas… C’est un genre de phalanstère fouriériste dans lequel nous proposons des jubilations partagées autour de la culture et des cinq sens…

Propos recueillis par Gérard Poulouin

Gérard Poulouin est enseignant (Centre d’Enseignement du Français pour Étrangers, Université de Caen Basse-Normandie). Au sein de l’UP de Caen, il anime depuis 2002 un séminaire sur les « idées politiques ».

http://pagesperso-orange.fr/michel.onfray/UPcaen.htm

Le Recours aux forêts est paru aux éditions Galilée.

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