Nous, somme d’idées
24 septembre 2009.
Nous ? « Nous » comme un collectif hétérogène. « Nous » comme « intellect » en grec et « nous » comme une somme de penseurs et de pensées. Ce serait l’équation qui préside aux destinées de cette maison d’édition caennaise, créée en 1999. Dix ans que la structure se distingue par l’exigence de son catalogue, ses auteurs prestigieux, son graphisme élégant et sobre. Aplats bicolores pour les couvertures, mise en page claire et soignée qui laisse respirer le texte font de chaque livre un objet unique mais laissent reconnaître l’éditeur. Benoît Casas dirige les éditions Nous depuis leur création. Être éditeur, nous avait-il confié en 2008, c’est « faire exister des livres, se battre pour que certains livres puissent encore exister. Faire en sorte que des textes deviennent des objets partageables : s’offrent à des yeux, des mains, délient des langues, suscitent des désirs, fomentent des insoumissions. Aident à vivre en vérité. » (Livre/ échange, mars 2008) Cette conviction explique probablement la longévité et l’exigence des éditions Nous. La persévérance aussi. Il s’agissait de ne pas baisser les bras lorsque le stock de la jeune maison a brûlé dans l’incendie du dépôt des Belles Lettres, son diffuseur et distributeur, en 2002. Il avait fallu alors réimprimer les livres existants pour que l’amorce de catalogue existe à nouveau, sortir la tête de l’eau…
Durant les premières années, la maison traçait sa route tranquillement au rythme de deux à trois titres par an. Suivant des auteurs prestigieux et tentant de répondre à un questionnement emprunté à Mallarmé : « Theodor W. Adorno, Alain Badiou, Mehdi Belhaj Kacem, André Biély, Benoît Casas, Paul Celan, Robert Creeley, Jacques Demarcq, Bénédicte Hébert, Gerard Manley Hopkins, Jacques Jouet, Luis de Miranda, Pier Paolo Pasolini, Jacques Roubaud, Gertrude Stein, Gérard Wajcman et Andrea Zanzotto : Amorce d’élaboration d’un nous contemporain extrême disparate. Pour se soumettre, sujet-éditeur, à la question de Mallarmé : ” véritablement, aujourd’hui, qu’y a-t-il ? “. »
Peut-être pour mieux circonscrire cet « aujourd’hui », les éditions Nous ont augmenté leur rythme de parution. Là, en un an, elles ont publié dix ouvrages. Cette nouvelle régularité, ce nouveau rythme, a été rendu possible par un travail à deux, Patrizia Atzei ayant rejoint les éditions Nous en 2008. Cette impulsion leur assure aussi une meilleure visibilité en librairie, un catalogue plus solide. Il comporte 28 titres désormais. Si elles restent fidèles à la poésie et la philosophie – « mais une philosophie exigeante pas académique, une philosophie soucieuse de son écriture, en phase avec les enjeux contemporains, prenant en compte la psychanalyse, une philosophie vivante ! » -, les éditions Nous ouvrent leur horizon : inaugurant une nouvelle collection d’ouvrages photographiques, « Captures » et une revue Grumeaux (lire ci-contre). « Captures » est probablement le projet le plus novateur pour Nous qui n’avait jamais publié d’ouvrages de photos jusqu’à présent. Bénédicte Hébert a inauguré la collection avec Ça me regarde. En 2010, la maison d’édition accompagnera le projet artistique de la plasticienne caennaise Axelle Rioult. Un site Internet, clair et attrayant, accompagne désormais ce nouvel élan sur la toile (www.editions-nous.com).
Mais les éditions Nous s’attachent toujours à publier des noms reconnus comme Jouet, Roubaud. « La confiance de grands noms comme Badiou nous a aidés. » Ce qui permet aux éditions Nous de s’engager vis-à-vis de jeunes auteurs comme Luc Bénazet ou Christophe Manon. Une nouvelle collection tournée vers des textes inédits de littérature française contemporaine verra d’ailleurs le jour à la sous le titre évocateur de « Disparate ». « Elle nous permettra de publier des jeunes auteurs et des textes plus courts. » Premier opus ce mois-ci avec Univerciel de Christophe Manon.
Prendre des risques lorsqu’on est éditeur, ce n’est pas seulement miser sur de jeunes auteurs. Mais aussi sur des objets typographiques hors normes. Après plusieurs années de travail, Nous peut être fier de publier La Dissolution, un ouvrage de plus de 500 pages de l’Oulipien, Jacques Roubaud, l’un des titres événements de son catalogue. « C’est un ouvrage atypique. Le texte est entièrement composé en couleurs, elles fonctionnent comme des parenthèses avec des décalages d’alinéa. Même le Seuil avait refusé de le publier. Nous l’avons publié tel que Roubaud le voulait. Cela me semble aberrant qu’un écrivain comme Roubaud ne puisse pas faire ce qu’il veut aujourd’hui ! Là en tant qu’éditeur, on se sent utile. Nous sommes là avant tout pour servir un travail. »
Nathalie Colleville
Éditions Nous 4 Chemin de Fleury 14000 Caen
Tél. : 09 64 22 92 52
www.editions-nous.com
